L’appel de la Dame Blanche.

24 03 2022

Ce matin, mercredi 23/03/2022, j’avais RDV chez un médecin à Saint-Saulge. Je savais, merci à ma connaissance client, liée à ma mémoire encore efficiente, qu’il était hostile à ma proposition de prescrire mon produit. Il campait sur le fait que ce n’est pas à lui de le faire. Mais aux cardiologues. J’ai réussi, par un enchaînement miraculeux de hasards, ou pas, à faire qu’il me demande la fiche poso. Ce qui, dans mon métier, est un très bon signe d’engagement. Nous n’avons pas de bon de commande pour factualiser notre réussite. Je suis sorti de mon rdv avec la sensation du devoir accompli. Une visite comme ça n’arrive pas tous les jours. J’avais le sourire et plus envie de bosser, estimant mon job de la journée fait. Mais ma tournée prévue m’emmenait à Tannay, au pied du Morvan, alors j’ai pris la route. Le ciel était bleu, le soleil doux, les fleurs de printemps pointaient leur nez. Ce serait une promenade sympathique. Je suis passé sur cette route des dizaines de fois, j’ai toujours tracé comme un con, la tête baissée. Arrivé à Asnan, j’ai vu se découper dans l’azur du ciel une dame Blanche qui m’a fait de l’œil. Elle trône majestueusement au sommet d’une des multiples collines qui parsèment le paysage. C’était comme si je la voyais pour la première fois. Elle a happé toute mon attention. Je ne suivais plus Bruno Latour sur les chemins de la philosophie, j’étais hypnotisé. Je repensais au texte que j’avais retravaillé il y a peu, où je disais que je voyais trop mon secteur par le petit bout de la lorgnette. Que je gagnerais à être moins pressé, plus contemplatif. Alors j’ai mis mon clignotant à gauche toute, ce qui est assez naturel chez moi, et je me suis posé à côté du cimetière. J’ai vu le départ d’un chemin qui semblait mener à la Dame Blanche. J’ai commencé l’escalade, la pente est rude. Après quelques minutes, j’ai tombé la veste car je commençais à avoir trop chaud. Je me remerciais d’avoir mis mes docks ce matin. Au bout d’un moment, j’ai aperçu une croix Blanche devant moi. Mais pas de Dame Blanche. Alors j’ai continué l’escalade dans l’espoir de la trouver. Je me suis bientôt retrouvé dans la forêt, tout en haut de la colline. J’ai avancé dans le sous-bois pour me disant que j’avais dû la rater, qu’elle ne pouvait pas être là. Je me suis engouffré à l’ombre des arbres pour me rafraîchir un peu. J’ai avancé sous les bourgeons naissants, au milieu des oiseaux qui s’envolaient à mon arrivée. Des tapis de fleurs multicolores enchantaient mon regard. Je me suis senti bien. Si bien. Si détendu. Sans aucun stress. Sans aucune peur. Presque sans aucune pensée. Pas loin d’être en méditation. En fait, si, j’avais des pensées. Ou plutôt des questions. Car je deviens spécialiste des questions. D’où peut-être l’absence de hasard dans la réussite de ma visite matinale. Comment était-il possible qu’il y ait la guerre en Ukraine ? Comment était-il il possible que le fracas des bombes puisse écrabouiller le silence paisible que j’entendais ? Comment pouvait-on laisser détruire cette nature qui m’entourait ? Comment pouvait-on passer ses journées à bosser alors qu’on aurait pu les passer sur cette colline ? Que valait mon travail à côté de toute cette beauté ? Comment la nature, si belle, pouvait-elle se montrer aussi cruelle avec une amie qu’elle avait farcie de métastases en moins d’un an ? Je me suis posé à côté d’une minuscule mare. J’ai observé la vie dans l’eau. Le ballet des insectes. Les œufs des grenouilles d’où sortiraient bientôt des têtards. Je pensais au dormeur du val. Sauf que j’étais le rêveur sur le monticule. La Dame Blanche m’avait amené à l’origine du monde. Une mésange m’observait, un peu moqueuse. Elle devait se dire que je n’étais qu’un crétin d’humain qui n’avait pour seule ambition que de détruire son petit microcosme magnifique. Oui, je suis bien un crétin d’humain petite mésange. Mais je ne te veux aucun mal. Je voudrais tellement vous sauver. Toutes. Et pas seulement les mésanges. Mais je ne peux pas faire grand-chose. Quel est mon pouvoir ? Je ne sais même pas de quoi sera fait demain pour moi. Si lundi dernier, j’ai appris que je n’ai rien au cerveau, petite mésange, je vais devoir faire un examen de la moelle épinière. Le neurochirurgien a dit qu’il serait bête de ne pas profiter des outils que nous avons maintenant. Il a rajouté, avec son humour de neurochirurgien, qu’il n’allait pas me dire comme les vieux médecins : on va faire ça pour se rassurer. Car pour se rassurer, on trouve souvent des trucs qu’on ne cherchait pas. Comment prendre ça ? Les paroles d’un neurochirurgien comptent peu. Ce qui compte ce sont ses actes. Il veut que je passe une IRM de la moelle épinière, petite mésange. Le fait est là. Les paroles ne sont que poudre aux yeux. Il m’a confirmé qu’il n’est pas normal d’avoir une jambe qui prend ses aises, qui n’en fait qu’à sa tête, même si je n’ai rien au cerveau. Alors croise tes pattes pour moi et souhaite moi bon vent. J’ai pris le chemin du retour, dans le sous-bois. Je voyais la lumière, au bout du chemin, à la lisière des grands arbres. J’ai pénétré dans cette lumière avec avidité, le froid de la forêt commençait à s’emparer de moi. Après quelques pas au grand soleil, je l’ai vue. Elle était juste en face de moi, plus bas, trônant sur un replat surplombant la route. Elle s’était cachée dans mon dos pendant mon ascension. Elle ne pouvait plus m’échapper. Je suis allé la retrouver. Elle était grande, elle était blanche, majestueuse, elle contemplait l’ensemble du Morvan, comme si elle le surveillait. Que voulait-elle me dire ? Je me suis posté devant elle pour connaître sa perspective. Et si elle scrutait les grands espaces bleus plutôt que le Morvan? Non, Dame Blanche, les grands espaces bleus, c’est trop tôt pour moi. Je dois au moins tenir jusqu’au 2 novembre. Alors, peut-être me dis-tu simplement, que plutôt que d’aller voir des médecins à la con, je ferais mieux de faire des balades avec mon appareil photo et enfin découvrir tous ces paysages que je ne connais qu’à 90 km/h. Ce qui n’est pas connaître. Aller à cette vitesse, ce n’est pas vivre. C’est la flânerie qui fait découvrir l’essence des choses. Dame Blanche, tu me fais penser de drôles de trucs, aujourd’hui. Suis-je normal ? Aurais-tu déjà pris une partie de moi, mon esprit, pour que le mysticisme me phagocyte ainsi ?
Bah, j’ai fait deux ou trois photos et j’ai pris le sentier dans le sens de la descente.

Voilà.

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La positive attitude.

9 02 2022




Des biais de confirmation.

11 01 2022

Je me suis tapé une heure et quarante et une minutes de Houellebecq à La Sorbonne. Quand je dis « tapé » , ce n’est pas un euphémisme car l’écouter est un vrai calvaire tellement il met de temps à répondre aux questions, tellement il a des réponses embrouillées et marmonnées. Le titre de la vidéo m’avait attiré, elle s’intitule « Le livre ou la vie ». C’est un sujet qui m’occupe dans ce que j’écris en ce moment où je me demande s’il faut vivre sa vie plutôt que l’écrire. La problématique posée à Houellebecq dans cette vidéo, en une question, a été presque la même. De toutes ces longues minutes, j’ai retenu et noté quelques points qui me font réaliser à quel point nous sommes soumis aux biais de confirmation. Tout ce que j’ai noté ne concerne que ce qui me parle actuellement. Le reste je l’ai misérablement (un adverbe) laissé à l’intérieur de mon IPad.

« Ce sont les autres qui décident qu’on est écrivain.

L’acte initial c’est écrire une chose et le faire lire à quelqu’un d’autre.

Il y a plus de différence entre 0 lecteur et 1, qu’entre 1 et un million.

On me dit souvent que je suis pessimiste, mais non, je ne suis ni pessimiste, ni optimiste, je suis réaliste.

Je représente le monde tel qu’il est mais je ne l’accepte pas pour autant.

J’estime que je dois arrêter les corrections quand j’en ai marre du truc, que ça me sort par les yeux. C’est un signe qu’il vaut mieux s’arrêter. Sinon on va faire des conneries.

Vous pensez écrire pour vivre ou vivre pour écrire ? L’idée, que si je n’écris pas, la vie m’ennuie n’est pas une idée qui me plait mais pourtant je dois bien reconnaître que c’est une idée qui devient de plus en plus vraie. »

Voilà.

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Comment devient-on un grand écrivain?

20 12 2021

Ce qui suit est une retranscription incomplète et parfois retravaillée par mes soins de l’émission de Matthieu Garigou-Lagrange, « Sans avoir jamais oser le demander », diffusée le mardi 14 décembre 2021. Le sujet ? Comment devenir un grand écrivain.

Se raconter dans des ateliers d’écriture c’est guider le geste (il s’agit ici d’écrivains confirmés partageant avec des personnes souhaitant perfectionner leur écriture ou publier). Dans tous les arts il y a une partie, certes d’inspiration, de talent, etc…mais il y a aussi une partie d’artisanat. Et un geste qui n’est pas guidé c’est un geste qui se perd, une geste qui hésite. Comme un charpentier doit un jour se former auprès d’un maître, il est bon aussi, en écriture, d’avoir des maîtres, des exemple, d’avoir un geste qui est guidé.

Il faudrait casser ce mythe pour les écrivains que l’écriture tombe du ciel. Alors qu’il faut une formation pour devenir nettoyer d’aquarium ou montreur d’ours (la vache, les exemples !!), les peintres se forment en allant dans les musées, en étant coachés par les grands maîtres, je ne vois pas pourquoi cela n’existe pas pour l’écriture. La première étape serait de mettre à mal l’idée que l’écrivain est quelqu’un qui boit de l’eau de violette en se baladant les nuits de pleine lune et qui a une inspiration divine ou qui écrit sous la dictée d’une muse, alors qu’en fait il y a beaucoup de travail derrière et qu’un livre c’est 10% d’inspiration et 90% de transpiration.

Faut-il avoir une vision du monde particulière, singulière pour devenir écrivain ?

Essayer d’inventer, de mettre au point, le meilleur projet de roman ou d’essai, dans l’absolu, c’est voué à l’échec, cette tentative abstraite de faire. Par contre, il y a peut-être une histoire, un sujet que, vous, vous pouvez aborder de manière singulière et que les autres ne peuvent pas écrire à votre place. Un conseil que je donne souvent est : quelle est l’histoire que vous pouvez écrire et que personne d’autre ne pourrait ? Ce n’est pas forcément un sujet qui est grandiose, ce peut être un sujet qui va chercher dans le quotidien, dans l’histoire familiale, dans une obsession personnelle, dans une marotte, un domaine d’érudition incongru. Où est-ce que j’ai un moteur obsessionnel suffisamment fort pour que, si je m’attelle à la tâche d’écrire tous les jours pendant un an, deux ans, je n’en perde pas la saveur, que j’aie envie de continuer à explorer cela. Il ne faut pas se demander ce qu’on a dire sur le monde comme si on était un oracle. C’est en creusant ce qu’on a de singulier, de personnel, qui ne nous a pas forcément été soufflé par la communication ou par les moyens d’information en vigueur, qu’on retrouve une forme d’universalité. C’est un paradoxe : plus vous allez au bout de ce que vous avez de plus intime, de plus secret, de plus étrange et plus vous retrouvez la condition humaine dans sa généralité. Ce n’est pas du tout la même manière de procéder qu’en essayant de faire un bon produit, une bonne marchandise, étalonnée, qui plairait à tout le monde, comme si on avait à concevoir un plat industriel par exemple.

Cela pose la question de l’écriture et du rapport à l’autre, de ce qu’on dit, de ce qu’on transmet dans son écriture.

Ce qui compte dans un livre n’est pas d’avoir absolument un sujet extraordinaire mais plus la manière dont on va le raconter. Il faut raconter ce que seul soi on serait capable de raconter, avec ses mots à soi, en évitant tous les clichés, tout ce que les autres pourraient dire à notre place et arriver à dire quelque chose d’une manière complètement singulière.

« Quoi faire de la solitude que je vivais dans cette maison ? Quoi faire ? Ça a commencé comme ça, comme une blague : peut-être écrire ? Dans la vie, il arrive un moment, et je pense que c’est fatal, on ne peut pas y échapper où tout est mis en doute. Le mariage qu’on a fait, les amis qu’on a, les amis du couple, pas l’enfant. L’enfant n’est jamais mis en doute. Et ce doute grandit, grandit, grandit. Ce doute contient la solitude, il est habité par une solitude qu’on peut déjà nommer de nos mots. Je crois que beaucoup de gens ne pourraient pas supporter ça. Ils se sauveraient. » Marguerite Duras.

Mais pourquoi diable écrire alors qu’il y a tant d’autres choses à faire ?

Bonne question et chaque écrivain a sa réponse personnelle. Giraudoux disait « pour être riche et considéré ». Paul Valéry disait « par faiblesse ». Cendrars disait juste « parce que ». Effectivement, il y a beaucoup de bonnes raisons de ne pas écrire, ça prend du temps pour beaucoup d’ingratitude derrière. Léautaud, à qui sa maîtresse disait si jamais vous deviez choisir entre faire l’amour et écrire, je sais ce que vous choisiriez, écrire. Il disait « elle a raison ». La réponse la plus simple à pourquoi écrire est parce qu’on en a envie. On peut écrire les livres qu’on a envie de lire. C’est ma réponse à cette question en tout cas.

Les ateliers d’écriture c’est progresser dans sa maîtrise des mots. Et progresser dans la maîtrise des mots, avant même de savoir si ça appartient à la littérature, c’est une manière de prendre en main son propre destin, d’avoir les mains sur le volant. Vous avez la possibilité de nommer vos émotions, vous sortez d’une forme de brouillard ou de confusion sentimentale, et tout d’un coup le monde s’éclaircit parce que vous parvenez à décrire, à nommer, à extérioriser des souvenirs ou des pensées parfois profondes et qui étaient tenues secrètes.

Quelles seraient les erreurs de débutant dans l’écriture ?

Les erreurs les plus classiques sont l’abondance d’adjectifs et d’adverbes.

Pourquoi ce n’est pas bien les adjectifs et les adverbes ?

La question est d’en finir avec les effets. C’est comme dans la vie, il y des gens qui ont une démarche bizarre, qui sont clinquants, vous voyez, qui ont cette sorte de m’as-tu vu….un moment, il est bon d’essayer d’en finir avec des effets trop artificiels, qui sont clinquants, qui sont là pour épater la galerie. Une  certaine obsession de la belle phrase peut conduire à ça  également. Mais la question est : qu’est-ce qui sonne juste ? Quelle est ma voie (ma voix, il me semble que les deux mots fonctionnent)? C’est ce que chacun doit se demander. Pour rejoindre cette voie (cette voix ?) qui sonne juste, il y a du travail.

Est-ce qu’on peut donner des canons de ce que serait une bonne littérature ?

Non, rien n’est impossible. Pour certains, pour travailler le style on va faire lire des auteurs américains qui ont un style très oral, très relâché, très direct, avec des phrases sèches, sans gras. D’autres vous allez leur faire lire Proust. La clé c’est de sabrer des fioritures pour décaper, pour trouver le mode d’expression propre à la personne.

Il faut arriver à trouver un style singulier et ça  passe par le fait de se défaire de tous les clichés, les adjectifs, les adverbes, les comparaisons un peu bateau, elle était belle comme un ange, des choses comme ça qui n’apportent absolument rien. Il faut apprendre à se défaire de tout ça.

Pourquoi ça  n’apporte rien, si c’est vrai ?

Ce qu’on attend d’un livre c’est une vision personnelle de l’auteur et si c’est pour lire ce qu’on a déjà lu « un coucher de soleil sur Paris » déjà 25 fois, ça n’a pas grand intérêt. Ça  peut exister mais ça n’est pas ça qui fera la force du livre. La force du livre c’est tout ce qui est personnel. (Il y a ici une comparaison avec la peinture où le style personnel du peintre fait qu’il se différencie d’un autre peintre)

Il faut apprendre à gommer tous ces adjectifs, tous ces poncifs. Si on regarde les manuscrits de Victor Hugo, on peut voir comment il retravaillait ses phrases. Il traquait systématiquement tous ces mots qui sont clichés, qui sont assez simples. Il va, par exemple, parler de la « fauve bataille »,  ce qui est beaucoup mieux qu’un combat sanglant qui est vu et revu. Après on peut être un bon écrivain tout en ayant recours à ces clichés et si on regarde Fénelon qui est très agréable à lire, il emploie beaucoup de facilités. Il parle du « léger zéphyr » ce qui n’apporte absolument rien, c’est un pléonasme, il fait des comparaisons complètement éculées, ça n’en reste pas moins un grand écrivain.

Les frères Goncourt disent qu’un grand écrivain est quelqu’un qui va cibler sa phrase, qui va faire que sa phrase est reconnaissable. Quand on lit une phrase de Proust, ou de Victor Hugo, on va très rapidement, en lisant quelques phrases, identifier qu’on lit Proust ou Hugo.

Un conseil que je donne : si le lecteur (ou Ma Lectrice) peut mettre lui-même l’adjectif, enlevez-le. Ou trouvez-en un autre plus original. (Fauve bataille vs combat sanglant). L’adjectif réflexe, l’adjectif automatique, il faut le supprimer. Il s’agit de traquer ces parties de la phase où non seulement il n’y a aucune singularité mais aussi aucune intention littéraire, aucune vision. (Exemple : une petite robe blanche)

« L’écriture aujourd’hui, puisque je suis un être d’écriture , sinon un écrivain, est une dépense, comme l’appelait George Bataille, inconditionnelle. C’est-à-dire une dépense pour rien. C’est une sorte d’activité perverse qui, en un sens, ne sert à rien. Elle ne peut pas être comptabilisée. Qui excède toujours les services qu’on peut lui demander. Sans doute, l’écriture fait partie d’un échange social, quand on écrit on publie des livres, ça  fait partie d’un marché de l’édition ça relève d’une certaine économie mais dans l’écriture il y a toujours quelque chose en plus qui dépasse cette rentabilité et qui est le « pour rien ». Et qui, je pense, a défini ce que j’appelais au début, la jouissance. C’est une jouissance pour rien, c’est donc une perversion. » Roland Barthes.

Si on écrit dans le but de quelque chose on rate quelque chose. Faut-il accepter l’idée de la gratuité de l’acte d’écriture pour arriver à faire un grand roman ?

Il peut exister des réponses complètement différentes et diverses. Souvent les écrivains ont commencé par hasard, parce qu’ils ne savaient quoi faire, pour séduire des filles mais la grave erreur est de se lancer en ayant un objet précis et en se disant « voilà ce que je veux atteindre ». il est indispensable d’arriver à prendre du plaisir, du moins au début, sinon on s’expose à énormément de déception. On n’est jamais certain d’aller au bout d’un livre. Une fois qu’il est écrit, est-ce qu’on va arriver à le faire publier ? Une fois qu’il est publié, il faut intéresser les comités de sélection des librairies, puis les médias, puis si on a des chroniques dans la presse de gauche on n’en aura pas dans la presse de droite, on va se prendre des coups de tous les côtés. Donc il faut y aller de manière extrêmement désintéressée c’est-à-dire qu’il faut surtout avoir envie d’apprendre à s’améliorer, apprendre à mieux s’exprimer, mais oui je pense qu’il faut que ce soit gratuit.

Vous ne conseillez pas de se lancer dans l’écriture comme une carrière ? L’écriture ça n’est pas ça, c’est un désir qu’il s’agit de canaliser par le travail ?

On vit dans une société où le modèle hégémonique d’activité est le salariat. L’activité professionnelle normale consiste à faire un certain nombre d’heures, vendre des heures de travail contre une rémunération. C’est une logique qui ne peut pas s’appliquer à aucun art, notamment à l’écriture. Avec la littérature on se trouve plutôt du côté de l’otium, c’est-à-dire le loisir cultivé ou le loisir intelligent. Ça  signifie qu’il n’y a aucune proportionnalité entre le temps passé et le résultat ou l’argent gagné. Il faut l’accepter dès le départ. C’est un saut dans le vide. C’est plus facile à accepter pour les rejetons des familles bourgeoises ou des classes aisées que des familles populaires. Nous vivons dans une société de travailleurs et il faut se sortir de cette mentalité selon laquelle le temps c’est de l’argent, pour accéder à une temporalité qui est la temporalité de la création où le temps n’est pas de l’argent.

Quand vous allez coucher vos 5 enfants, vous mettez à écrire. C’est un moment de quoi ? De joie, de souffrance, c’est le deux à la fois ?

C’est le moment que j’attends. Les heures volées à mes contraintes professionnelles, je les consacre à écrire. Tôt  le matin. Tard le soir. Je saisis les heures, ça  peut être n’importe où, n’importe quand, et je les attends. Cela a un bénéfice qui est que je rentre directement dans le sujet sans perdre de temps. Pendant longtemps j’ai vécu à la campagne dans des conditions idéales pour écrire, je n’avais que ça  à faire, quasiment. Du matin au soir. C’était très dur, car en ce qui me concerne je ne suis vraiment créatif en écriture que, au maximum, deux à trois heures par jour. Si on travaille le matin, on se met au travail à 9h00, à 11h30 on a terminé. Qu’est-ce qu’on fait après ?

Vous pouvez lire ?

Oui mais lire en plus c’est deux heures de plus, maximum, après on sature. En réalité on se retrouve dans un vide et ce que j’avais tendance à faire, c’était un peu le syndrome de Pénélope, c’était de reprendre mes textes inlassablement et à défaire ce que j’avais fait. Arrivé à la fin de la journée, c’est le piège que nous tendent les traitements de texte, j’avais exploré es tas de variantes du même paragraphe, mais en ayant tout cousu et décousu mille fois, si bien que je n’avais plus que des lambeaux. Il y a donc un piège dans le fait d’avoir trop de temps.

Il faut travailler chaque jour, écrire un petit peu chaque jour, est-ce que c’est ce que font la plupart des écrivains ?

Roland Barthes disait qu’il avait des horaires de fonctionnaire et que son temps d’écriture était chaque matin de 9h00 à 11h00. Paul Valéry se levait très tôt et écrivait pendant deux heures avant le lever du soleil et il disait : j’ai le droit d’être bête pour le reste de la journée. Il est vraiment important quand on se lance dans ce type de projet de pouvoir s’y mettre très régulièrement, d’établir pourquoi pas un calendrier. Et c’est sans doute beaucoup plus compliqué aujourd’hui dans nos vies où nous sommes tellement sollicités par notre téléphone portable, les amis, les responsabilités professionnelles, mais il est toujours important de dégager du temps pour l’écriture. Francis Ponge qui travaillait chez Hachette n’écrivait pas plus de 20 minutes par jour.

Du coup il y a des écrivains qui deviennent un peu misanthropes comme Duras qui se plaignait de ses amis qui venaient la visiter, qui perturbaient son travail ?

Oui, il y a aussi Françoise Sagan qui raconte que toutes ses relations sentimentales et amicales étaient des échecs absolus car elle avait toujours mieux à faire avec ses livres, des personnages qui lui trottaient dans la tête. Elle était tellement perdue dans ses pensées qu’elle perdait ses amis à cause de ça.

Changement de sujet…

Pour bien écrire il faut être attentif à ce qu’on écrit mais aussi à ce qu’on omet. Un bon écrivain est celui qui sent ce qu’il ne faut pas dire. Il faut laisser des zones de silence qui sont les zones de liberté offertes au lecteur pour se représenter certaines scènes, certaines clés de l’intrigue. Il faut faire ressentir sans trop en dire.

Tout un travail de l’écriture c’est arriver à ce que le lecteur puisse comprendre sans qu’on lui dise noir sur blanc, voilà ce qui se passe. Un personnage fatigué c’est plus efficace de dire qu‘il baille que de dire qu’il est fatigué. Il faut montrer plutôt que dire. Il faut apprendre à jouer avec l’intelligence du lecteur, se moquer de lui, agiter des chiffons rouge avant de l’emmener dans une autre direction. Il faut faire le pari que le lecteur est quelqu’un d’intelligent, qu’on peut laisser des sous-entendus et des zones dans lesquelles il va pouvoir s’imaginer lui-même.

Et puis ressentir la voix de l’écrivain ? Écrire c’est laisser passer sa personnalité ?

La théorie dit qu’il ne faut pas qu’on sente l’écrivain. Les frères Goncourt disaient que l’écrivain doit être comme la police dans une ville, partout mais qu’on ne le sache nulle part. Mais en pratique un livre qui nous plait, c’est quand même quand on sent la patte de l’écrivain, quand on sent son humour par exemple, sa vision du monde.

Il y a deux types de livres qui fonctionnent en librairie (ex : collection Harlequin) ceux qui ont été formatés, conçus pour ça, avec des recettes qui peuvent marcher mais qui parfois se plantent totalement. Et il y en a d’autres, et c’est là que réside le grand art, où le mythe personnel rejoint le mythe collectif. Là c’est Flaubert, c’est Balzac, Hugo. Ce sont des succès beaucoup plus important, beaucoup plus pérennes sur le long terme.

Il existe une grande part de hasard. Vous pouvez travailler votre mythe personnel, vous pouvez travailler la mise en mot des celui-ci. Mais vous ne pouvez absolument pas commander la rencontre de votre mythe personnel avec le mythe collectif.

La description c’est quelque chose de capital pour écrire. On a tendance à parfois en supprimer par souci d’efficacité mais c’est absolument clé. On peut transmettre beaucoup de choses dans une description même s’il ne faut pas tomber dans l’excès de détails inutiles. Il ne faut pas chercher à impressionner, il faut garder à l’esprit pourquoi on la fait, quelle est son utilité, qu’est-ce qu’on veut dire. Il faut pouvoir sabrer tout ce qui n’est pas indispensable au texte, au sens qu’on cherche à donner. On peut mettre de la fantaisie dans les descriptions, mettre des choses transposées comme Chateaubriand qui met des bananiers aux États-Unis. Ce qui est complètement absurde mais quand il dit ça on a l’impressions d’y être dans cette nature sauvage.

Ce qui est difficile c’est de tenir son roman dans la durée. Donc il faut apprendre à faire court, parfois il ne sert à rien de s’étaler, si on peut faire court. Si l’histoire ne tient qu’en 50 pages peut-être que ce sera très bien de la faire en nouvelle.

Les premières phrases ne sont pas forcément de belles phrases littéraires. Les plus connues restent dans la littérature française : longtemps je me suis couché de bonne heure (Proust). Ou aujourd’hui maman est morte (Camus). Ces phrases sont extrêmement simples, sujet, verbe, complément, vous étiez peut-être déjà capable de les inventer au CM1, mais ce sont de très bonnes premières phrases, car la première phrase a une fonction rhétorique et nos pas littéraire. C’est de l’hameçonnage pour obtenir de l’attention ce qui n’est pas gagné. Cette recherche d’efficacité est presque anti-littéraire mais elle capitale pour accrocher le lecteur.

Et le style ?

Les dialogues sont très difficiles en français car le français écrit et le français oral sont totalement différents. Ce sont deux langues différentes. À  l’oral on n’emploie quasiment que deux temps, le présent et le passé composé, on ne finit pas ses phrases…il est donc difficile d’intégrer dans un récit littéraire des dialogues vivants. En anglais c’est beaucoup plus facile et beaucoup plus naturel, le fossé entre l’écrit et l’oral n’étant pas le même.

Dans les ateliers d’écriture, par exemple, on fait réfléchir sur les phrases. Cette phrase est-ce qu’on pourrait la revisiter ? Qu’est-ce qu’elle donne au passé ? Il faut explorer ce qui fonctionne et ne fonctionne pas dans un texte et qu’il faudrait revoir. C’est ça  l’artisanat de l’écriture, ce n’est pas le premier jet, c’est tout ce qui se passe après.

La relecture joue beaucoup dans la qualité d’un texte ?

Il faut relire énormément, faire relire par d’autres, relire par l’éditeur après. S’il y avait une seule chose à retenir de tous les auteurs auxquels je me suis intéressé, c’est vraiment la relecture. C’est quelque chose qui est trop souvent oublié, dont on va se dire que ce n’est pas important, qu’on a mis le point final, que le livre est fait, or quand le premier jet est fait on n’a fait que 10% du travail. Il faut au moins 50 relectures pour un livre pour arriver à en faire quelque chose. Et des relectures ciblées. C’est la clé  pour avoir un bon livre. On peut se relire pour vérifier le fil du texte. Pour sabrer en disant je supprime 10%, 20% du texte. Et faire relire par d’autres qui ont un regard précis sur la situation, pour éviter les impairs (ex confondre Thésée et Ulysse. Hihihi)

Le premier jet repose sur votre éloquence naturelle. Certains en ont beaucoup, d’autres moins, mais ça ne donne pas une image précise du résultat final. Ça ne compte pas tant que ça. Ensuite soit on retravaille son premier jet inlassablement avec le risque de casser le souffle. Donc il peut être intéressant pour un chapitre, une partie de travailler en premiers jets successifs pour ne garder que le meilleur, un peu comme dans les improvisations de jazz.

Bon, du coup, je n’aurai pas écrit pour moi aujourd’hui car cela m’a pris un temps fou, mine de rien. Mon temps de cerveau disponible est échu. Je parie sur l’intelligence de mes lectrices pour deviner pourquoi j’ai mis en avant tous ces passages plutôt que d’autres. Juste un indice, je me suis reconnu dans pas mal de sujets abordés dans cette émission.

Voilà.

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Avec le temps.

28 11 2021

Il y a longtemps que je n’avais pas eu envie de prendre mon clavier pour écrire ici N’Importequoi. Ce soir j’ai ressenti cette démangeaison que je connais bien, aussi j’ai ouvert les « chroniques de ma vie ». Elle est survenue alors qu’aujourd’hui j’avais déjà beaucoup écrit. Ou plutôt réécrit. Car c’est ce que je fais actuellement. De la réécriture. En parallèle de mon fichier « chroniques de ma vie », j’en posséde un second, presque le même qui se nomme « Chroniques corrections Sandrine ». Sandrine est ma petite cousine. Elle est journaliste dans un canard de la presse régionale et plus que douée en Français. Je lui ai envoyé mon fichier en début d’année, après l’avoir vue à  Noël et avoir osé aborder, pour la première fois, mon projet d’écriture. Je lui avais dit que j’avais besoin de ses talents pour corriger ce fichier qui commençait à être épais. Elle me l’a renvoyé, peu avant l’été, totalement révisé par ses soins, en me disant, je ne sais pas comment le prendre, que je suis une sorte de philosophe cynique. Compliment ? Critique ? Positif ? Négatif ? Je n’en sais fichtre rien, mais pour ne pas heurter mon ego, j’ai décidé, à l’unanimité de moi-même, de considérer cette remarque comme positive. Quand j’ai reçu sa correction, j’étais totalement immergé dans l’écriture de ce qui devrait constituer mes trois premiers chapitres. Les chroniques ne m’étant utiles que pour le dernier, je n’ai donc pas touché à ce fichier. Je l’ai consciencieusement archivé dans mon IPad après l’avoir vaguement ouvert. Chaque chose en son temps. Il m’était impossible de tout faire dans le même. En novembre, comme j’en avais terminé avec les 3 premières parties, je me suis lancé dans la dernière, la sublimation. Si je pensais que cette partie finale serait facile à écrire pour moi, dans la mesure où elle était déjà  écrite, j’ai vite déchanté. Ce n’est pas simple du tout même si ça ressemble pourtant au travail que j’avais déjà  effectué sur la mort de mon papa. Ma principale difficulté réside dans le fait de trouver un équilibre entre réécrire des textes, avec l’objectif avoué de les rendre plus clairs, plus compréhensibles, mieux écrits, plus percutants, plus profonds, tout en gardant leur esprit du moment présent. Celui où je les avais écrits, car c’est leur principale valeur à mes yeux. Ils doivent rester une photographie de ce que j’ai vécu, ressenti, pensé. Parfois je rajoute des choses, plus ou moins longues. J’en enlève d’autres. Je laisse reposer. Je relis le lendemain. Ce qui m’amène inévitablement à des nouvelles corrections. Je rajoute ou enlève des mots. Traque les temps de conjugaison, car il est important, à mes yeux, de laisser le temps utilisé sur le moment. Pour donner la possibilité à l’éventuelle lectrice de ces textes, de constater le changement de style dans l’écriture. Pour permettre de voir à quel moment je suis passé à l’utilisation, très  systématique, de l’imparfait. Je sais pertinemment que cet usage peut apparaître étrange, bizarre, peut-être négatif, ou même rébarbatif, mais j’aime écrire avec ce temps, l’imparfait, car ça me correspond. Cette utilisation me donne un style, qui vaut ce qu’il vaut aux yeux des autres mais qui correspond à une preuve, noir sur blanc, de mon évolution. Pendant des années, je n’avais aucun style particulier, il me semble en avoir trouvé un, suffisamment décalé pour me correspondre. Les temps de conjugaison constituent des preuves qui seront importantes pour le procès instruit par Ma Lectrice et qui décidera de ma sublimation. Ou pas. Tel est l’objet de mon dernier chapitre. La tâche que j’ai à réaliser sur les temps est donc importante et complexe. Il me faut essayer de laisser la conjugaison initiale la plus fidèle possible, mais pour certains textes le mélange me parait trop incohérent. Impossible de les laisser en l’état. Je m’aperçois, par ce travail, que ma dérive vers l’imparfait s’est faite doucement, dans un glissement à peine perceptible, sans que cela soit vraiment conscientisé. Je peux constater, après 5 ou 6 textes retravaillés, que l’imparfait s’est imposé subrepticement, mais de plus en plus clairement au fil du temps. Je décèle une forme d’hésitation, de balancier qui penche d’un côté vers le présent, puis de l’autre vers l’imparfait. Je perçois cette envie de construire un style différent mais sans vraiment oser m’y aventurer totalement. Écrire à l’imparfait demande un effort, ça  n’a rien de naturel. Il me semble que ce qui n’est pas naturel peut donner du style par la différence et l’absence de banalité, un peu comme la dissonance en musique. Je dois absolument garder la trace de cette dérive tout en traquant les discordances trop flagrantes pour la lectrice avertie. Le lendemain, je relis à nouveau. Je change des mots. À  nouveau. Un peu moins cependant de jours en jours. Il m’a fallu pas moins d’une semaine, minimum, pour chacun des textes, pour aboutir enfin à des versions me semblant acceptables. J’ai tant de mal à lâcher prise, à donner le go à ces textes (à donner l’ego?), que je leur trouve toujours une imperfection. Un mot de trop. Un qui manquait. Une répétition malvenue. Un rajout qui a coupé un élan entre deux vieilles phrases et qui me demande une nouvelle tournure pour retrouver le sens et l’élan initial. Arrivé à un certain stade, je m’empêche de relire une nouvelle fois et je me résous à coller la version obtenue dans La Flèche du Temps. C’est comme un moindre mal, la version qui m’a parue la moindre mauvaise. Je dois avancer, je ne peux pas rester éternellement sur le même texte. Je commence trop à me sentir comme un mélange subtile de Pénélope, de Sisyphe et de Danaïdes, de plus en plus en lutte avec un éternel recommencement. Il me faut trancher dans le vif, arrivé à un certain point, car tourner en rond n’est pas un gage de qualité. La vérité tient peut-être même dans le contraire. Je ne sais plus. Ce qui est certain, c’est que le texte transféré dans la Flèche du Temps est celui qui commence à présenter une bonne gueule pour le lecteur (l’écrivain ???) que je suis actuellement. Un texte qui correspond à mon œil du moment. Je réalise mieux combien notre œil est en perpétuel changement et qu’il évolue pendant que nous croyons que rien n’a changé. J’espère que les modifications incessantes, faites dans mes textes, qui les ramènent de 2019 jusque dans mon hologramme de 2021, n’enlèveront pas l’intention initiale des ces écrits. Ni le sens profond que j’avais voulu y mettre. Un autre point délicat est de me replonger dans des heures difficiles. Pour la réécriture, je suis dans l’obligation de me replonger dans ce passé douloureux, dans cette eau froide. De me remettre devant ma table de cuisine avec ma tasse de tisane au tilleul quand ma compagne m’avait annoncé, en revenant d’une mammographie, qu’elle allait devoir faire, d’après le radiologue, des biopsies pour s’assurer de deux ou trois choses avant de passer à la suite. Choc. De retourner dans la salle d’échographie du CHU avec la sénologue. Stress. De revenir dans les petits bureaux où se faisaient les RDV d’annonce. Soulagement naïf avec le recul. C’est douloureux car je ne réécris pas seulement, mais je revis, au-delà des mots, dans ma chair, ces instants de vie. Ça n’a rien d’agréable. Par contre, je peux constater que si mes textes plus « politiques » ne m’ont pas toujours donné raison avec le temps, je ne me suis pas trompé en racontant ce qui se produisait en moi. Sur l’impact psychologique des événements qui nous arrivaient. Sur leur durabilité. Sur le rôle que ça jouerait immanquablement dans notre vie future. Notre vie future, je la vis en ce moment même, et je vois qu’elle correspond à ce que j’avais imaginé en 2019. Ce constat me conforte dans l’idée que je suis mon meilleur sujet d’écriture. C’est simple, clair, net et précis. J’ai relu des textes où perce, de manière récurrente l’angoisse de la page blanche, où je raconte ma recherche insatisfaisante de sujets divers et variés. Je constate, avec un léger sourire ironique envoyé à mon adresse, que de N’Importequoi, je revenais invariablement à moi. Je n’avais pas encore compris qu’il était vain de chercher un autre sujet que celui de ma vie intime. Je suis curieux de voir, en continuant ma réécriture, s’il existe un moment charnière, un point de bascule qui montrerait le moment où je suis devenu mon propre sujet. Ou si , au contraire, comme avec l’appropriation de l’imparfait, cela a émergé doucement, presque inconsciemment. En faisant ce travail, je continuais donc à apprendre sur moi. À  me comprendre « a  posteriori ». Je me fais un cadeau inestimable en saisissant tous ces ressorts alors à l’œuvre dans ma vie. Je un peu comme le mécanicien de mon esprit même si je suis pas sûr d’avoir toutes les pièces de rechange nécessaires pour une grosse panne.

Je remarque un truc de dingue, c’est que j’ai abordé, sans le savoir, un nombre incalculable des thèmes que Proust traitait , en longueur, c’est le moins qu’on puisse dire, dans la Recherche. J’en suis rendu dans la dernière ligne droite de ce livre. Je devrais plutôt dire de ces livres, puisque la Recherche contient sept volumes. Je viens d’entamer « Albertine disparue », puis il me restera « Le temps retrouvé ». Je lis maintenant beaucoup plus vite, et j’a surtout l’impression de comprendre beaucoup mieux qu’au début, tout devait est question d’entraînement. Ce qui me frappe c’est combien la lecture de Proust est en symbiose avec mon envie d’écriture. Comment il me permet de mieux envisager ce qui est à l’œuvre en moi. Je comprends que je n’ai pas commencé sa lecture par hasard. Ce n’est pas possible. Il est trop question, dans La Recherche, d’écriture justement, ou plus largement de créativité, de création, pour que ce livre ait été mis sous mes yeux sans aucune raison. Il me donne des clés de lecture pour déchiffrer ce que je ressens depuis si longtemps. Il me transmet un sésame me permettant d’accéder à une conscience supérieure de mon psychisme. Merci Marcel. Je n’aurais jamais cru écrire ces deux mots un jour. Pour tout dire, je n’avais jamais pensé, tout simplement, écrire un jour. Le temps perdu, le temps retrouvé. La vie sociale, la créativité. La dispersion inutile, l’écriture. J’avais déjà traduit ça, déjà  verbalisé cette sensation, en imaginant une force centripète qui agissait en moi, qui me contraignait à une extraction culpabilisante du monde, qui me poussait de plus en plus vers une solitude dans laquelle je me repaissais. Une solitude, qui si elle constituait une forme d’épanouissement indéniable pour moi, était tellement pesante pour les autres que j’en concevais des remords. En lisant Proust, j’ai compris que c’est un passage obligé, incontournable pour tout acte de création. Écrire impose une introspection, une plongée en soi, qu’on ne peut éviter si on veut aller toucher la substantifique moelle de ce qu’on a à dire, à transmettre. Il s’agit de retranscrire un dialogue intérieur foisonnant et de l’exposer de manière à toucher les autres. Me concernant, plus particulièrement Mes Lectrices. Il n’est pas aisé d’énoncer que je me sens des points communs avec Proust. « Allez donc, comme vous y allez mon bon Monsieur !! Mais pour qui vous prenez-vous ??? » Cette petite voix, personne n’a besoin de me la seriner à l’oreille, je le fais très bien moi-même. Je ne me prends pour personne, je constate simplement la concordance des thèmes, la similitude de certains comportements, la perception du temps perdu, comme celle du temps retrouvé. La Recherche est l’histoire d’une transformation du narrateur passant d’une envie d’écrire à écrivain. La Flèche du Temps c’est exactement ça aussi. Oui, il me semble qu’au fond je parle de la même chose que Proust. Mais j’espère, modestement, hahaha, que je suis moins chiant à lire que Proust. Fin de l’épisode. 

À  part ça, la démangeaison ressentie ce soir est probablement liée à une envie de fournir quelques nouvelles à mes lectrices, à reprendre un peu le contact. Pour rester lapidaire, après ce trop long texte, je vous dirais simplement que je suis de nouveau plongé dans une période de chiotte, mes diverticules ayant recommencé à faire des leurs juste après mes vacances Bretonnes. À quand les hémorroïdes? Beurk!! Je ne suis peut-être pas prêt  à reprendre une vie normale, une alimentation normale, à retourner au restaurant, à reboire, un tout petit peu d’alcool. Je suis donc sorti de ma réclusion pour mieux y retourner. Quel était le sens de ce nouvel épisode douloureux ? J’ai compris maintenant qu’il était inutile de me torturer les méninges pour trouver la réponse à cette épineuse question. Bien ? Néfaste ? Profitable ? Physiologique ?  Psychologique ? Con comme un manche ? Malin? La réponse arrivera bien assez vite, toute seule, spontanément, sans rien que j’y fasse.

Avec le…temps.

Voilà.

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